1884a(46)

    Lecture 46. De l'induction

    1. De l'induction
      1. Définition de l'induction
      2. Analyse de l'induction
        1. moment -- Constatation de la loi dans un certain nombre de cas
        2. moment -- Généralisation de la loi ainsi obtenue
    2. Premier moment -- Comment on constate la loi dans les cas particuliers
      1. Méthode de concordance
      2. Méthode de différence
      3. Méthode des variations concomitantes
      4. Méthode des résidus
    3. Second moment -- Du fondement de l'induction
      1. L'induction peut-elle se ramener à un syllogisme comme le pense Aristote?
      2. A-t-elle pour fondement une croyance instinctive de l'humanité à la stabilité des lois de l'univers?
      3. Elle a pour fondement le principe de causalité
      4. L'induction et l'empirisme

    Lecture 46. De l'induction

    L'induction est le raisonnement qui permet de passer du particulier au général, ou du fait à la loi. Toute loi se compose d'un rapport de causalité entre deux ou plusieurs faits d'observation. Toute induction se composera donc de deux moments:

    1. Il faudra rechercher un rapport de causalité entre deux faits déterminés.
    2. Ce rapport trouvé, il faudra l'étendre de tous les cas particuliers où il aura été constaté à l'universalité des expériences possibles.
    Voici un exemple d'induction où l'on distingue nettement ces deux moments: Pascal veut déterminer la cause des oscillations de la colonne mercurielle dans le tube barométrique.

    1e Moment. On constate que la cause dans un certain nombre de cas est la pesanteur de l'air. Il trouve ainsi une loi qui régit le phénomène dans les cas donnés. Le rapport de causalité cherché est déterminé pour un certain nombre d'expériences particulières.

    2e Moment. Ce rapport observé seulement dans un certain nombre d'expériences, on l'étend à toutes les expériences possibles, et l'on dit que la cause universelle des variations de la hauteur de la colonne barométrique est la variation de la pesanteur de l'atmosphère. Dans le premier moment, on cherche un rapport de causalité. Comment le déterminer?

    Pour cela, Mill dans sa Logique indique 4 méthodes: de concordance, de différence, des variations concomitantes, des résidus.

    1. Méthode de concordance. Si dans tous les cas observés, le phénomène dont on cherche la cause est régulièrement précédé d'un même antécédent, on dit que ce dernier est la cause cherchée. Soit à déterminer la cause de A. On le voit précédé une première fois de BCD, une seconde de B, C1,D1, une troisième de B, C11,D11. Il est donc toujours précédé d'un même phénomène B. C'est une forte présomption pour que B soit la cause de A.
      Ainsi, quand il y a cristallisation, ce phénomène est toujours précédé du dépôt à l'état solide de particules fondues ou dissoutes. La solidification d'une substance à l'état liquide est donc cause de la cristallisation.

    1. Méthode de différence. Elle consiste à supprimer la cause présumée, et à constater si le phénomène observé disparaît aussi. Soit BCD, les phénomènes qui précèdent toujours A. Si B disparu, C et D ne suffisent pas à produire A, on pourra en conclure que B est cause de A. Ainsi, le son se produit dans l'air, et ne se transmet plus si on fait le vide. Donc l'air est la condition du son. C'est là la meilleure manière de déterminer la cause d'un phénomène. La première ne peut donner qu'une forte présomption. On voit souvent, si l'on n'emploie que cette seule méthode, un rapport de causalité là où il n'y a qu'un rapport de séquence. C'est le sophisme connu sous le nom: post hoc, ergo propter hoc.
    2. Méthode des variations concomitantes. Elle consiste à faire varier la cause présumée et à voir si le phénomène varie dans la même proportion. Ainsi, si les dilatations d'un corps augmente avec la chaleur, on pourra affirmer d'une manière certaine que la chaleur dilate les corps.
    3. Méthode des résidus. A ces trois méthodes, déjà indiquées par Bacon [Il les nommait table de présence, table d'absence, table de degré.], Stuart Mill a cru devoir en ajouter une quatrième, celle des résidus. Si l'on retranche d'un phénomène donné tout ce qui, en vertu d'inductions antérieures, peut être produit par des causes déjà connues, ce qui restera sera l'effet des antécédents qu'on aura négligés.
      Par exemple, la recherche de la cause du son et de son mode de propagation avaient conduit à des conclusions qui permettaient de calculer exactement sa vitesse dans l'air. Quand on arriva aux expériences, le résultat trouvé ne concorda pas avec celui que prédisaient les calculs: la vitesse était plus faible qu'elle n'aurait dû l'être; une fois les causes connues retirées, restait à expliquer un résidu, cette différence. Laplace eut l'idée que ce ralentissement pourrait bien être dû à une dépense de mouvement qui se transformait en chaleur, et expliqua le fait par là.


    Dans le second moment de l'induction, on étend à l'universalité des cas possibles le rapport observé dans quelques cas donnés. Qu'est-ce qui autorise cette extension du particulier à l'universel? Autrement dit, quel est le principe de l'induction?

    Si l'on s'en tenait à un texte d'Aristote, il semblerait que ce philosophe ait fait du principe d'identité le fondement de l'induction; il semble en effet ramener cette dernière à un syllogisme. Voici l'exemple donné:

      L'âne, le mulet, le cheval vivent longtemps;
      Or, ce sont là tous les animaux sans fiel;
      Donc, tous les animaux sans fiel vivent longtemps.

    [Avant d'attaquer cette théorie, il y a une réserve d'histoire à faire. La théorie complète d'Aristote reconnaît bien à l'induction une nature et des lois spéciales. C'est seulement une certaine forme d'induction qu'il ramène au syllogisme, et encore fait-il intervenir dans sa théorie un principe métaphysique spécial, le [Greek].]

    On passe là d'un fait à une loi; il semblerait donc que le raisonnement inductif put se ramener au syllogisme, qu'il n'y eut par le fait qu'un seul raisonnement; le raisonnement déductif.

    Mais en étudiant le syllogisme d'Aristote, on remarque qu'il a un caractère bien particulier: le moyen terme et le petit terme y ont une égale extension. La mineure affirme que tous les individus chez qui se trouvent les caractères généralisés dans la conclusion ont été observés. Mais presque toujours, l'induction généralise sans avoir observé tous les individus. On a déterminé les lois de la pesanteur sans avoir pu les vérifier par l'observation de tous les corps pesants. Or, le syllogisme inductif d'Aristote n'est vrai que si tous les cas possibles ont été observés et sont énumérés dans la mineure, ce qui est pour ainsi dire impossible.

    L'induction ne peut donc pas se ramener à la déduction; elle consiste à passer du particulier au général, ce qu'on ne saurait expliquer par le seul principe d'identité. Entre le particulier et le général, il y a un abîme; l'induction le franchit; mais au moyen de quel principe?

    Suivant Reid et les Ecossais, ce principe n'est autre chose qu'une croyance instinctive de l'esprit humain à la stabilité des lois de la nature. Voilà ce qui nous permet de généraliser le particulier. Si nous croyons que en tout lieu et en tout temps les corps pesants obéissent aux mêmes lois, c'est que nous croyons la nature immuable.

    Cette croyance est indéniable. Mais pour qu'elle puisse servir de fondement à l'induction, il faut qu'elle repose sur un principe rationnel: c'est celui de causalité. Tout phénomène a une cause. Il en résulte immédiatement qu'une même cause, toutes les circonstances étant les mêmes, doit produire les mêmes effets. En effet dans ce cas, rien n'empêche A de produire B; là non apparition de l'effet n'aurait donc pas de cause. Or, comme toute loi est un rapport de causalité, la loi vraie dans un cas le sera dans tous les cas identiques.

    Nous trouvons ici un fait nouveau qui contredit la théorie empirique de la connaissance. La raison pour cette théorie, se forme à la suite d'une induction: mais nous venons de faire voir que l'induction suppose le principe de causalité: le cercle vicieux est flagrant. Pour que les lois aient cette valeur universelle sans laquelle il n'est pas de science, il faut qu'elles reposent, non sur un principe contingent dérivé de l'expérience, mais sur une vérité nécessaire venant de la nature même de l'esprit; sinon, le principe de causalité n'est qu'une perpétuelle hypothèse que de nouveaux faits peuvent démentir du jour au lendemain.


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