La méthode est l'ensemble de procédés que suit l'esprit humain pour arriver à la vérité. Ces procédés se combinent différemment suivant les différents objets à étudier; en d'autres termes, la méthode varie avec chaque espèce de science.
Avant d'aborder le détail, nous allons examiner les différents procédés que suit l'esprit pour arriver à la vérité.
Il y a deux méthodes générales, l'analyse et la synthèse. Il faut définir ces mots, car on s'entend difficilement.
Condillac entendait par analyse la méthode que suit l'esprit quand il décompose un tout donné en ses parties. La synthèse est au contraire pour lui la méthode de recomposition. Si je démonte une montre, j'en fais l'analyse; si je la remonte telle qu'elle était, je fais une synthèse.
Port-Royal entendait ces mots dans un sens tout différent. Pour cette école, l'analyse est une méthode régressive, remontant d'une proposition à démontrer à ses conditions jusqu'à ce que l'on arrive à quelque chose de reconnu vrai. La synthèse est la méthode inverse; elle part de la proposition à laquelle arrive l'analyse, et arrive à celle d'où part l'analyse.
Cette définition a été suggérée aux logiciens de Port-Royal par la géométrie, qui définit ainsi ces deux mots. L'analyse selon eux, sert à trouver des vérités nouvelles; la synthèse, à prouver aux autres ce que l'on sait être vrai.
La méthode analytique est celle que suit l'esprit inventeur dans la recherche de la vérité; la méthode de synthèse est une méthode "de doctrine" suivant une expression de Port-Royal.
Depuis Kant, ces deux mots ont pris une signification qu'on ne peut plus leur enlever.
L'analyse est la méthode que suit l'esprit qui, partant de un ou plusieurs principes posés, développe tout ce qui y est contenu sans rien y ajouter. La méthode analytique ne fait donc que nous révéler ce que nous savions virtuellement par des connaissances antérieures. Ainsi de la définition du triangle, on déduit que les angles en valent deux droits. La conclusion ne contient pas plus que les prémisses; la méthode est donc analytique. La méthode au contraire est synthétique quand elle ajoute aux connaissances anciennes quelque chose de nouveau. Elle sert ainsi à poser les principes que développe l'analyse.
C'est déjà dans ce sens que nous avons employé ces expressions en distinguant les jugements synthétiques et analytiques. D'après l'acception que Port-Royal donnait à analyse et synthèse, ces deux procédés ne se distinguaient que par l'ordre dans lequel ils nous fournissaient les vérités. La synthèse établissait les mêmes choses que l'analyse, seulement d'une autre manière; il n'y avait entre l'analyse et la synthèse d'autre différence que celle du "chemin que l'on fait en montant d'une vallée en une montagne à celui que l'on fait en descendant d'une montagne en la vallée."
Au contraire, si l'on prend ces deux mots dans le sens Kantien, la synthèse ne recommence pas ce qu'a fait l'analyse, mais ces deux procédés se suivent et se complètent mutuellement. Ces deux méthodes ne peuvent être séparées: elle se supposent réciproquement: nous ne pouvons rien déduire que d'un principe posé, et d'autre part ce principe serait inutile si l'analyse ne le développait pas.
Voyons maintenant à quoi sert la méthode.
Sur ce sujet ont été émises les opinions les plus contradictoires: les uns la trouvent inutile, d'autres la jugent toute la science.
Il y a exagération à croire que les découvertes sont dûes à la méthode. Les inventions sont dûes à ce qui ne se donne pas par une méthode, la force du génie. Celle-ci peut régler cette force, l'empêcher d'aller au hasard, mais ne la crée pas. Quand bien même la méthode serait nécessaire à l'invention, ce qui est vrai, elle ne peut être la source de toute invention, car il faut avant tout qu'elle soit découverte elle-même et cela sans méthode.
Mais si la méthode n'est pas suffisante, elle est indispensable
à la science: elle est à l'esprit ce qu'est l'instrument à la
main. Agir méthodiquement, c'est agir rationnellement, ce qui est pour l'homme le meilleur moyen d'agir.