La méthode des sciences physiques comprend deux parties:
Dans les sciences physiques l'observation se fait par les sens dont nous augmentons la portée à l'aide d'instruments. Quant à l'observateur, il doit présenter quatre qualités: attention, intelligence, exactitude, impartialité.
Dire qu'un observateur doit faire attention, c'est dire un peu plus qu'affirmer qu'il doit observer: c'est indiquer qu'il ne doit négliger aucun détail, son esprit doit être appliqué à ce qui se passe devant lui sans s'en laisser distraire. Mais pour que l'observation soit fructueuse, il faut encore que l'observateur soit doué d'assez d'intelligence pour démêler les faits importants de ceux qui le sont moins. Enfin, il faut que l'observateur n'ajoute ni ne retranche rien aux phénomènes dont il est spectateur. Il faut qu'il se réduise autant que possible au rôle de témoin fidèle. Pour qu'il ne sorte pas de ce rôle, il doit se montrer impartial; il risquerait sans cela de voir dans les phénomènes qu'il considère non ce qui y est réellement mais ce qu'il désire y voir.
L'observation nous fait connaître les faits tels qu'ils se passent; mais nous sommes loin encore de la loi. Elle n'est pas écrite dans les choses: il leur faut arracher leur secret. De la matière que nous donne l'observation, il faut dégager la loi: c'est ici qu'intervient l'invention. En présence des faits, l'homme de génie a l'idée d'une loi, et fait ce qu'on appelle une hypothèse. On ne peut dire d'une manière rigoureuse comment l'inventeur fait une hypothèse, mais on peut remarquer que le procédé qui a été le plus souvent employé, et celui qui a donné d'ailleurs les meilleurs résultats, est l'analogie.
L'analogie est une sorte de raisonnement par lequel nous concluons d'un fait à un autre qui, sans être identique au premier, présente avec lui quelque ressemblance. Si les deux faits étaient identiques, il n'y aurait plus raisonnement par analogie, mais induction: l'analogie suppose que les faits ont des ressemblances et des différences.
L'analogie suggère souvent des idées nouvelles, et nous lui devons bien des découvertes: un fait est constaté, on lui applique la loi d'un autre qui lui ressemble, on constate qu'elle est encore vraie dans ce cas, et voilà une découverte faite. Mais ce que nous ne pouvons expliquer, c'est pourquoi telle hypothèse est faite par tel savant plutôt que par tel autre; aussi dans le cas même de l'hypothèse tirée d'une analogie y a-t-il place pour la création, qui est toute entière une oeuvre d'imagination; tout dans l'analogie n'est pas oeuvre de logique, il y a dans l'invention de toute hypothèse une grande part de contingence.
Que l'esprit procède par analogie ou de toute autre manière pour la trouver, on appelle hypothèse cette idée anticipée de la loi. On peut fort bien définir l'hypothèse, une loi qui n'est pas encore vérifiée. Ainsi Pascal observe la variation de la hauteur du mercure dans la colonne barométrique, et a l'idée que la pesanteur variable de l'air en est la cause. La loi alors est à l'état d'hypothèse. Plus tard seulement elle deviendra réellement loi, quand elle aura été vérifiée par le moyen des variations concomitantes [Cf. XLVI, B, III].
Comme on le voit, l'hypothèse est nécessaire dans toutes les sciences physiques: sans elle nulle découverte n'est possible. Elle n'est, ni ne doit être, le dernier mot de la science, mais elle en est une partie indispensable. C'est là un fait qu'on n'a pas toujours reconnu: on s'est souvent défié de l'hypothèse ou l'a traitée avec mépris. Quelques logiciens ont cru que la vraie méthode scientifique consistait seulement à observer les faits sans rien ajouter à ce que nous donnait l'observation. Pour eux, cette méthode est la seule sûre: toute autre risque de nous induire en erreur, de nous faire prendre pour vérités de simples conceptions de l'esprit; on peut compter Bain au nombre de ces détracteurs de l'hypothèse.
Il est possible que cette méthode soit dangereuse, mais elle est nécessaire. Sans doute nous pouvons être trompés par une hypothèse, mais on ne peut arriver à la vérité qu'en s'en servant. La loi des choses ne saute pas aux yeux, nous l'avons déjà fait voir. Puis quand bien même nos hypothèses seraient fausses, ne pouvons-nous pas les vérifier rigoureusement?
L'hypothèse a donc une grande valeur scientifique, d'ailleurs, pour éviter l'erreur, il y a des règles qui la dirigent. Pour qu'elle soit bonne, il faut qu'elle présente les caractères suivants:
Démonstration de la loi. La loi trouvée, comment la démontre-t-on?
Par l'expérimentation. On a une hypothèse; on fait alors une expérience, et l'on met cette hypothèse à l'épreuve. On a souvent discuté sur la distinction de l'observation et de l'expérimentation. La première, a-t-on dit, est passive; la seconde, active. Ce n'est pas suffisant, c'est même faux dans quelques cas. Un astronome, promenant au hasard son télescope sur le ciel et tombant sur un astre inconnu jusqu'à présent, est actif; et pourtant il a seulement observé, il n'a pas expérimenté.
L'expérimentation, a-t-on dit, est caractérisée par l'action de l'expérimentateur sur les phénomènes observés. Mais alors l'astronomie se trouverait exclue des sciences expérimentales.
Qu'est-ce donc qui constitue l'expérimentation? C'est l'existence d'une hypothèse. L'expérimentation est une observation destinée à prouver une hypothèse préalable. L'hypothèse, a dit Claude Bernard, est l'idée directrice de l'expérimentation. Peu importe que nous suscitions ou non les phénomènes artificiellement. Du moment où l'observateur a pour fin de vérifier une idée préconçue, elle devient une expérimentation. L'hypothèse peut n'être pas précise, on peut expérimenter pour voir, pour chercher une forme nette à cette hypothèse; peu importe. Du moment qu'il y a une idée directrice, il y a toujours expérimentation.
La loi trouvée, il faut l'étendre à toutes les expériences possibles: ici intervient l'induction, que nous avons déjà étudiée. Expérimentation et induction, voilà de quoi se compose la méthode de démonstration dans toutes les sciences physiques.
On s'est demandé quelquefois s'il pouvait y avoir des sciences physiques qui soient sciences de pure observation. La météorologie, dit-on, n'est-elle pas une science? Et pourtant il n'y a pas chez elle d'expérimentation, elle ne peut que constater les faits. Il en est de même de l'histoire naturelle.
Que faut-il penser de cette théorie? Toute science qui n'a pas
d'expérimentation n'a pas de loi, car l'existence de celle-ci
implique hypothèse, expérimentation, induction. Elle n'explique
donc pas les faits, car toute explication est l'énoncé d'une loi.
Ce ne sont donc pas des sciences proprement dites. Ce sont des
histoires qui racontent et classent certains faits, mais non de véritables sciences. Le mot de science complète ne peut se séparer de celui d'explication.