Les sciences morales sont celles qui s'occupent specialement de l'esprit humain. Examinons quelle est la méthode de ces sciences. On distingue quatre espèces de sciences morales: les sciences philosophiques, sociales, philologiques, et historiques. Nous avons déjà traité au début de ce cours la question de la méthode en philosophie. Nous allons voir maintenant la méthode des sciences sociales.
On compte trois sorts de sciences sociales: la politique, le droit, l'économie politique.
La politique est la science de la société. Elle a pour object de rechercher quelle est la meilleure forme que puissent prendre les sociétés humaines. Quelle sera la méthode en politique? On l'a souvent traitée more geometrico; ainsi, par example, a fait Platon dans sa République. Aujourd'hui cette méthode est abandonnée; l'observation et l'expérimentation l'ont remplacée: c'est l'histoire qui nous en fournit les moyens.
Le droit, au contraire, ayant pour fondement les lois humaines dont il se propose de déduire les applications aux cas particuliers de la vie humaine est une science toute de déduction.
On traitait autrefois de la même façon l'économie politique, en déterminant d'une manière abstraite les rapports entre les intérêts humains: cette méthode est maintenant abandonnée. On cherche ces rapports dans l'expérience du passé et du présent. Le raisonnement joue encore, il est vrai, un grand rôle en économie politique, mais l'observation et l'expérience l'enrichissent de faits nouveaux.
Les sciences philologiques étudient les lois du langage, soit dans une langue, soit dans un groupe de langues, soit dans toutes les langues connues. Comme toutes les sciences qui recherchent des lois, elle doit partir des faits. Ce sont donc des sciences inductives. Mais elles pratiquent particulièrement, comme les sciences naturelles, la méthode qui recherche les analogies sous les différences. C'est cette méthode qui a produit la science qu'on appelle Philologie comparée.
Les sciences historiques ont pour objet le passé; nous ne pouvons le connaître que par le témoignage de ceux qui vivaient à cette époque. La critique du témoignage constituera donc une grande part des sciences historiques.
Si le témoignage des hommes est sans autorité pour ce qui concerne la philosophie dogmatique et toutes les questions de doctrine, et s'il est vrai de dire que l'indépendance absolue de l'esprit est un devoir de l'homme envers lui-même, le témoignage n'en est pas moins indispensable quand il s'agit de faits. En histoire, devant les tribunaux, on ne peut s'en passer. Sur quoi repose donc l'autorité du témoignage? Suivant Reid et suivant les Ecossais, elle vient du double instinct de crédulité et de véracité. D'une part, disent-ils, ce que l'homme dit le plus naturellement, c'est la vérité. De l'autre, il est porté à croire ce que l'on lui dit, s'il n'a pas de raison de se défier. Ainsi, instinct de véracité chez le témoin et de crédulité chez celui qui l'écoute, voilà ce qui serait le fondement de l'autorité du témoignage.
Que nous ayons ces instincts, on ne peut le nier. Mais chez l'homme, les instincts sont bien faibles si on les compare à l'activité volontaire; véracité et crédulité dépendent beaucoup de l'éducation et de l'hérédité; et si l'enfant est naturellement crédule, comme on ne peut le nier, l'homme fait est plutôt défiant.
Quand croyons-nous autrui sur parole? Quand il nous est prouvé qu'il ne s'est pas trompé et qu'il ne nous trompe pas. L'autorité du témoignage d'autrui ne dépend donc pas d'un principe général, mais de causes particulières et personnelles. Quelles sont donc les garanties à prendre contre l'erreur dans le cas d'un fait rapporté par témoignage? Pour cela il faut critiquer et la personne du témoin, et les faits rapportés.
D'abord, pour ce qui concerne le témoin, il y a deux cas à distinguer:
1. Le témoin est unique.
2. Il y a plusieurs témoins.
Pour qu'autrui ne nous trompe pas, il faut qu'il n'ait pas de raison de nous tromper; s'il a à cela un intérêt plus ou moins immédiat, nous devons nous défier; si au contraire il n'y a pas d'intérêt, ou que sa déposition soit contraire à ses intérêts, nous aurons toute raison de le croire.
[At the end of this lecture, Lalande added two footnotes. The in-text reference for the second note is very clear, and is reproduced at the appropriate place below. The in-text reference for the first note is not clear, but from the context it seems that it belongs here. The note is as follows: "Pourqu'autrui ne se trompe pas, il faut qu'il n'ait pas intérêt à se tromper. Un esprit faible et même ordinaire, avec de l'imagination, croit facilement ce qu'il désire, et peut se tromper ainsi."]
Cependant quand le témoin est unique, il y a toujours une certaine défiance à garder: ce qu'il dit est trop personnel. Les probabilités peuvent être très fortes, mais il y a toujours une part de subjectivité d'où peut venir facilement l'erreur.
Les faits rapportés aussi doivent entrer en ligne de compte; quelle que soit notre confiance pour les témoins, nous ne pouvons croire un fait absurde. Il faut donc que les faits rapportés présentent un caractère de possibilité et ne choquent ni les lois de la raison, ni celles de la science. [Note: Un fait nouveau peut contredire une loi scientifique. La loi, nous l'avons vu, reste toujours à l'état d'hypothèse, et quelle que soit sa vraisemblance, elle peut toujours être détruite par une expérience nouvelle, loin que cette expérience puisse être rejetée en son nom.] Ensuite il faut que le fait rapporté n'en contredise pas un autre précédemment établi. Ainsi, vraisemblance générale, vraisemblance particulière, telles sont les conditions des faits.
Voilà les règles du témoignage des hommes. Lorsque ces règles sont observées, on peut croire aux faits sur témoignage: mais il ne suffit jamais en tout cas pour établir une idée, qui s'établit sur la démonstration, non sur l'autorité.