Deux méthodes exclusives ont été successivement employées en morale par de grands philosophes: l'une toute empirique, l'autre toute a priori. La première est celle d'Epicure, de Mill, de Spencer; la seconde est celle de Kant. La première part de l'observation et ne marche que par la généralisation et l'induction; elle arrive à son plus parfait développement chez Mill. Elle consiste à observer, soit par soi-même, soit par autrui, quand l'homme est heureux, et à tirer de là par généralisation la loi morale. Kant part au contraire du concept abstrait d'une morale pure: il suppose que la volonté peut agir sans la sensibilité et cherche quelle doit être alors la loi de cette volonté.
La première école, à quelque degré de généralisation qu'elle arrivât, n'atteignait pas l'universalité qui est le caractère de la loi morale: elle n'obtenait que des règles locales, provisoires, bonnes pour un certain temps et un certain nombre d'individus seulement. Inversement, Kant avait beau faire des concessions et corriger la rigueur de ses premières formules, sa morale restait imaginaire. C'était la règle d'une activité idéale hypothétique, non de l'homme tel qu'il est.
La méthode que nous avons suivie est à la fois déductive et expérimentale. Nous sommes partis d'un fait d'expérience que nous avons donné comme un postulat: la Responsabilité morale. Puis en déduisant les conditions de ce fait, nous avons été amenés à établir l'existence d'une loi universelle absolue et obligatoire. Puis, quand il s'est agi de donner la formule de cette loi, nous n'avons pas oublié qu'il s'agissait de l'homme, c'est-à-dire, d'un être doué de sensibilité, ayant des fins propres. C'est par là que la nature de l'homme importe à la règle de son activité: c'est là le rapport de la psychologie et de la morale. Mill réduisait la morale à la psychologie; Kant l'en excluait. Nous, nous faisons reposer la morale sur la psychologie. Pour savoir ce que devrait faire l'homme, nous nous sommes demandés ce qu'il est: il est une personne, dit la psychologie; il doit donc être une personne, conclut la morale. Une idée a priori régit donc notre morale, c'est l'idée de la finalité; un fait d'expérience, la Responsabilité morale, en est le point de départ. L'expérience y est à tout instant consultée, ce qui l'empêche de rester chimérique et stérile.