Quand on dit qu'il y a une âme, on entend seulement qu'il y a en nous un principe distinct de la matière que nous percevons par les sens. C'est à ce principe qu'on rapporte nos états de conscience. Y a-t-il réellement en nous un principe autre que la matière? Nous avons démontré en psychologie que l'étendue matérielle n'était qu'une apparence dont nous ne pouvions concevoir le substratum que comme des forces analogues à celle que nous sommes. Il n'y a donc pas lieu de se demander si le principe des états de conscience est matériel, puisque rien ne peut être étendu, l'idée d'étendue impliquant contradiction. Il est fort possible que le principe qui, perçu par les sens, est pour nous la matière, soit identique au principe qui perçu par notre conscience est notre esprit; mais quand on dit que l'âme est spirituelle, on entend par là qu'elle est d'une matière distincte de la matière sensible et étendue.
Notre théorie de la spiritualité universelle du monde suffit donc à démontrer cette proposition, mais on peut encore l'appuyer sur quatre démonstrations spéciales. Les trois premières montrent une contradiction entre la nature de l'esprit et celle de la matière.
Ces trois arguments procèdent d'une même méthode, comme on voit; elle est ainsi analogue à celle qu'emploie Descartes pour le même objet. Voici comment il procède: il commence par déterminer le concept de l'âme, puis remarque que ce concept peut être représenté à l'esprit sans le concept du corps; il en conclut que les deux substances sont différentes: je puis, dit-il, supposer que mon corps n'existe pas, que le monde extérieur n'est qu'une illusion, mais je ne puis imaginer que je ne sois pas, et par conséquent que je ne pense pas. Je puis donc me représenter l'âme définie par la pensée, abstraction faite de tout ce qui est matériel. La pensée et l'étendue sont donc des attributs de substances différentes. Cette démonstration repose donc sur ce postulat qui est le fondement de la méthode cartésienne: Deux concepts qui peuvent être conçus séparément appartiennent à des substances différentes. Notre démonstration ne repose pas sur cette hypothèse, mais sur un principe qu'on pourrait formuler ainsi: Deux ordres de phénomènes présentant des caractères contradictoires ne se rapportent pas à la même substance.
Un quatrième argument qu'on joint souvent aux trois précédents consiste à prouver la distinction de l'âme et du corps par les conflits qui éclatent souvent entre eux et qui montrent bien l'existence de deux principes distincts.
Notre théorie échappe à l'objection faite au spiritualisme courant qu'il admet dans le monde deux sortes de réalité, ce qui est difficile à admettre, et introduit ainsi une solution de continuité dans la nature. Notre spiritualisme admet au contraire que l'âme n'est pas une réalité d'une nature à part surgissant tout à coup dans l'échelle des êtres. L'esprit se retrouve à tous les dégrés, seulement plus ou moins rudimentaire: tout vit, tout est animé, tout pense.