1884a(75)

    Lecture 75. Critique des preuves métaphysiques de l'existence de Dieu

    1. Principes généraux de cette critique
      1. Critique Kantienne
      2. Les principes rationnels sont faits pour le monde de l'expérience, non pour un monde transcendant
    2. Critique des preuves reposant sur l'idée de perfection
      1. Critique de la première preuve
        1. L'idée de perfection n'est pas innée
        2. Est-il vrai qu'il y ait toujours au moins autant de réalité dans la cause que dans l'effet?
        3. Cet argument suppose l'impersonnalité de la raison
      2. Critique de l'argument ontologique
        1. Correction de Leibniz
        2. L'existence n'est pas une perfection
        3. Le syllogisme ne peut pas démontrer une existence
    3. Critique de la preuve par le principe de causalité
      1. [Greek] est en contradiction avec le principe de causalité
      2. Combiné avec le principe du nombre, le principe de causalité fait pressentir l'existence de quelque chose de transcendant
    4. Critique de la preuve par le principe de finalité (1ère forme)
      1. On peut s'arrêter dans la régression des fins et des moyens
      2. Il n'y a pas de raison:
        1. pour que la fin de l'univers soit une
        2. pour qu'elle soit transcendante


    Lecture 75. Critique des preuves métaphysiques de l'existence de Dieu

    Kant a présenté contre les preuves métaphysiques de l'existence de Dieu tout un système de critique. C'est dans la seconde partie de la Logique transcendentale (Dialectique transcendentale, ch. III, Idéal de la Raison). Toutes ces critiques sont inspirées par une idée qui découle immédiatement du Kantisme. Pour lui, le rôle des principes rationnels est seulement de régler l'expérience. Nous ne pouvons donc sans paralogisme les employer à démontrer l'existence d'un être qui est par définition même en dehors de l'expérience. La raison lie, organise les phénomènes que nous percevons, mais Dieu est un absolu, hors de leur portée par conséquent.

    Reprenons maintenant les preuves que nous avons déjà exposées. La première suppose en nous l'idée innée de perfection. Or, nous ne l'avons point admise au nombre des idées rationnelles, car elle ne rentre point parmi les conditions de l'expérience. De plus tout le reste de l'argument repose sur ce principe contestable qu'il y a toujours au moins autant de réalité dans la cause que dans l'effet. Ce principe suppose que l'effet n'est qu'une partie adéquate de la cause qui s'en est pour ainsi dire détachée. C'est là une conception mathématique des choses qui est loin de la réalité. L'effet est hétérogène à la cause; il présente une réalité et des qualités nouvelles. On ne peut pas dire que l'eau ne présente pas une réalité toute [illegible] de sa cause, l'oxygène et l'hydrogène combinés par l'influence électrique. Enfin, cet argument suppose une théorie de la connaissance que nous avons déjà réfutée. Il semblerait en effet d'après lui que nos idées fussent produites en nous par l'action d'un objet extérieur. Que cet objet soit matériel ou transcendant, ce n'est pas moins retirer à l'esprit son activité, ce qui n'est pas admissible.

    L'argument ontologique n'est pas plus valable. Leibniz remarqua avant Kant qu'il avait besoin de correction; il démontre, dit-il, l'existence de Dieu à la façon d'une vérité mathématique. On pose d'abord une définition et on en tire une conséquence: Dieu est parfait; l'existence est une perfection, donc Dieu existe. Mais quand on donne la définition d'une figure géométrique pour en tirer les conséquences, on sait que cette figure est logiquement possible: or, dans ce cas, on ne le sait pas: la perfection peut être contradictoire. Il faudra donc démontrer d'abord que l'être parfait est possible, le syllogisme de St. Anselme ne sera valable qu'ensuite. Mais, même avec cette correction de Leibniz, cet argument n'est pas suffisant. D'abord, comme l'a fait remarquer Kant, l'existence est-elle une perfection? Quand je dis qu'une chose existe, je n'ajoute rien à son concept: je déclare seulement réels les attributs qui le composent. En second lieu, le syllogisme n'est pas admis à déduire de la définition d'une chose son existence. Si les prémisses ne posent l'objet comme possible, il est absurde a priori, en vertu de la définition même du syllogisme, que la conclusion en déduise qu'il est réel. C'est là un jugement synthétique que le syllogisme, instrument de l'analyse, ne peut donner. De ce que j'affirme que toutes les perfections peuvent convenir au sujet Dieu, il peut s'ensuivre qu'il peut exister, mais non qu'il existe réellement.


    Nous arrivons aux preuves reposant sur le principe de causalité. Leur forme générale est l'[Greek] d'Aristote. Mais le principe de causalité exige-t-il réellement qu'on s'arrête dans la régression des causes et des effets? Point du tout. Au contraire, la première cause serait contradictoire à ce principe, puisqu'elle-même n'aurait pas de cause. Mais a-t-on dit, cette première cause s'est produite elle-même. Le principe de causalité n'en est pas moins violé: il ne donne le nom de cause qu'à un terme distinct d'un autre terme, qu'il appelle l'effet. Et en effet, un objet qui se crée lui-même est au-delà des limites de la raison, est en contradiction avec les principes rationnels.

    Le principe de causalité force donc au contraire l'esprit à une régression indéfinie. Cette preuve, bien qu'imparfaite, a pourtant une supériorité sur les autres. En complétant le principe de causalité par le principe [Margin note: Qui-ce qu'une pareille méthode [Greek]] du nombre, on peut pressentir que quelque chose doit exister en dehors de phénomènes. Tout ce qui est formé de parties est formé d'un nombre fini de parties. Il doit donc y avoir un nombre fini d'effets et de causes, la série doit avoir un terme. Mais lorsque nous cherchons à concevoir le premier terme de cette série, et que nous nous servons pour cela du principe de causalité qui n'est fait que pour les phénomènes relatifs, nous tombons dans les absurdités signalées plus haut. Pour le moment nous devons seulement nous en tenir à cette conséquence que la série des causes et des effets est limitée.


    De même que la preuve par la causalité était supérieur aux autres, de même la preuve par la finalité a une plus grande valeur logique que la précédente. En effet, le principe de finalité n'exige pas que la régression des moyens et des fins soit indéfinie, comme l'était celle des causes et des effets. [Margin note: Discussion sur le [Greek] finalité] Mais cet argument, malgré cet avantage, n'est pas encore péremptoire. En effet, qui nous répond que toutes les séries de causes et d'effets qui forment l'univers ne forment qu'un seul système et n'ont qu'une seule fin? Pourquoi ne formeraient-elles pas plusieurs systèmes distincts, ayant chacun leur fin spéciale? S'il en était ainsi, nous serions loin de l'absolu et par conséquent de Dieu. En second lieu, quand bien même la fin du monde ne serait pas multiple, rien ne prouve qu'elle serait en dehors des choses, qu'elle serait transcendante.

    Supposons, par exemple, que l'homme soit la fin du monde, que tous les phénomènes, que toutes les parties de l'univers, aient uniquement pour raison d'être de réaliser l'homme, de permettre l'avènement d'un être raisonnable et libre. Nous n'aurions pas dans ce cas l'absolu que nous cherchons; l'existence de Dieu ne serait pas démontrée.

    L'argument tendant à prouver l'existence de Dieu comme fin du monde n'est donc pas valable. Il y a une autre manière de démontrer l'existence de Dieu en vertu des principes de finalité et de causalité, en le considérant comme l'organisateur du monde. Nous allons exposer et critiquer cet argument, appelé par Kant preuve physico-théologique.


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