Nous avons montré l'existence de Dieu et déterminé sa nature. Reste à savoir quels sont les rapports de Dieu et du monde. On s'entend généralement à considérer Dieu comme cause du monde mais de quelle façon cette cause produit-elle son effet, voilà ce qui est en question.
D'après le dualisme, Dieu n'a fait qu'ordonner le monde lorsqu'il a commencé son oeuvre, il existait déjà une matière, la [Greek] de Platon, l'[Greek] d'Aristote. Cette matière existait de toute éternité. Mais alors cette matière est un autre absolu qui limite la puissance de Dieu, ce qui est contradictoire aux attributs que nous lui avons reconnus. En outre, quelque indéterminée qu'on suppose cette matière, elle n'en a pas moins certaines lois propres: Dieu ne pourrait donc pas l'organiser absolument comme il lui plaisait.
Mais, peut-on dire, pourquoi se représenter Dieu en dehors du monde? Pourquoi l'univers ne serait-il pas Dieu se développant? Cette doctrine, le panthéisme, enlève toute existence propre aux individus. Ils ne sont que les phénomènes divers d'une substance commune, Dieu. Le panthéisme explique les rapports de Dieu et du monde en les ramenant au rapport d'une substance et de ses phénomènes. Il a revêtu des formes très différentes. Tantôt le Dieu-monde nous est représenté comme un principe matériel. Le panthéisme est dit alors matérialiste; c'est là le panthéisme stoïcien et ionique, du moins en grande partie. Tantôt le premier principe nous est représenté comme spirituel; ainsi, Hegel met l'Idée au commencement de toutes choses. L'idée tend à se réaliser et y arrive en subissant la loi des contraires qui est celle de la réalité. Ce panthéisme est dit idéaliste. Le panthéisme de Spinoza n'appartient ni à l'un, ni à l'autre de ces genres. Pour lui, Dieu est à la fois principe de l'étendue et du mouvement: res extensa et cogitans.
Le panthéisme est exposé aux trois objections suivantes: La conception de Dieu est impossible. Un être qui résume en lui tous les êtres n'est pas seulement monstrueux et irreprésentable, il implique une véritable contradiction. Comment un même être peut-il à la fois avoir l'étendue et la pensée? Spinoza spiritualise bien autant que possible l'étendue divine; mais elle n'en reste pas moins quelque chose de matériel, sous peine de devenir inconcevable. Le Dieu des panthéistes n'a pas de nature déterminée: on ne peut dire que ce soit un être. En second lieu, le panthéisme n'explique pas l'existence de l'individuel. Nous sommes libres, uns, identiques. Comment pourrait-il en être ainsi si nous n'étions qu'un moment du développement divin? La liberté est absolument inconciliable avec cette hypothèse, ainsi que l'individualité. Les panthéistes nous dénient ces deux attributs; mais nous les avons admis comme réels, nous ne pouvons donc admettre leur système. Enfin, le panthéisme n'explique pas la multiplicité sensible: que peuvent être le changement et le mouvement dans un système qui place toute la réalité dans un Dieu éternellement immobile? Il faut les nier, et avec eux toute la multiplicité du monde sensible. C'est ce que voulaient les Eléats [ ? ] avec Parménide et Zénon. L'un seul existe, tout le reste n'est qu'apparence; le Monisme est la conséquence de tout panthéisme rigoureux.
Dieu n'est donc pas l'ordonnateur, ni l'âme du monde. Il ne reste plus à dire qu'une chose, c'est qu'il l'a créé. Il ne faut pas chercher à se représenter ce que veut dire ce mot; l'imagination ni la raison n'y parviennent. Il ne doit signifier pour nous que ceci: Dieu est distinct du monde et d'autre part, il n'en est pas seulement l'architecte.
Enoncer une pareille proposition, "c'est parler d'une barre de fer en bois"; ce n'est pas expliquer, c'est renoncer à expliquer. Qu'est-ce que des mots qui ne veulent rien dire?